Foot : De témoignages et de noms dans le scandale d’abus sexuels sur de joueurs en Rdc

Ce qui est demeuré longtemps caché vient d’être révélé. Le football en République Démocratique du Congo, RDC, est caractérisé depuis de décennies, notamment par un système de pédocriminalité qui implique à la fois de dirigeants de la Fédération congolaise de football, FECOFA, des entraîneurs et d’autres promoteurs des clubs et centres de formation. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par Sport News Africa durant une année, avec plusieurs preuves à l’appui.

Ce n’est pas seulement le football Gabonais qui est touché par le scandale d’abus sexuels et de pédocriminalité, comme cela a été l’objet de révélations tout récemment, mais la RDC aussi.

Des messages WhatsApp, notamment audios surréalistes de plusieurs minutes en français ou en lingala, sont documentés dans cette enquête. Ils sont émis par des dirigeants, coachs, qui obligent de joueurs  « à donner leurs fesses, à faire les sacrifices de sang » pour signer un contrat. Des abus en masse sur des jeunes garçons et des adultes, qui ont cru s’adonner noblement au football.

« C’est un système, ce n’est pas un cas isolé de pédophilie », confirme dans cette enquête l’ancien capitaine des Léopards Youssouf Mulumbu. « Des coéquipiers et des jeunes sont venus me parler de ce qu’ils ont connu, des propositions qu’ils recevaient. Je l’ai vu et entendu à de nombreuses reprises. C’est une réalité », souligne-il.

Ancien international et actuellement coach national des Léopards U23, Papy Kimoto, témoigne également de son côté  un autre scandale qui a éclaté au sein de la sélection.

« J’ai interpellé M. Theo Binamungu devant presque tous les membres du staff en lui demandant de faire quelque chose car c’était trop. Les enfants et certains joueurs souffraient de ces abus. Je lui en ai parlé, mais qu’est-ce qui a été fait ? Rien, ça continue ». C’était en décembre 2020, lors du tournoi qualificatif à la CAN U20 de la zone Union des Fédérations de football d’Afrique centrale, UNIFFAC, disputé en Guinée équatoriale, précise l’enquête. L’alerte est arrivée jusqu’à la FECOFA.

Cette joute verbale entre Papy Kimoto et le vice-président de la FECOFA, confirmée par plusieurs témoins dans l’enquête, a été l’une des premières alertes publiques d’un ancien joueur reconverti dans le staff des équipes de jeunes des Léopards. « J’ai prévenu aussi le président actuel, M. Tshimanga, et d’autres dirigeants. Je fais partie de l’amicale des entraîneurs de la RDC. Lors d’une réunion, on a soulevé ce problème. Avec d’autres, nous voulions une politique claire : chaque entraîneur qui se faisait attraper devait être sanctionné. Or, le directeur technique national actuel et Florent Florent Ibenge ont défendu ça. Ils ont parlé de vie privée et qu’ils ne voulaient pas rentrer en conflit là-dessus. Nous étions dégoûtés. Personne ne veut faire quelque chose pour les enfants », a ajouté Papy Kimoto.

Contacté et relancé dans le cadre de cette enquête par Sport News Africa, le président de la FECOFA, Donatien Tshimanga, n’a pas répondu, pas plus que le vice-président Théo Binamungu. Quant au directeur technique national, Guy Lusadisu, il nie avoir été présent à cette réunion, comme Florent Ibenge, l’ancien sélectionneur national qui a ajouté « avoir entendu des histoires de coachz ayant des relations avec les jeunes, mais sans avoir de preuves ». Alors que trois témoins confirment la présence de ces personnes à ladite réunion.

Si les instances footballistiques restent silencieuses, dénonce l’enquête , des voix s’élèvent pour dénoncer les actes répandus à travers tout le pays. « Il faut arrêter de se voiler la face et affronter le souci. J’ai reçu plusieurs témoignages et preuves de ces abus. Des coachs qui demandent à des gamins de coucher avec eux, de faire des sacrifices. Je travaille de mon côté depuis un moment pour répertorier cela et voir les actions possibles pour nettoyer notre sport et permettre aux enfants d’évoluer dans un environnement sécurisé », déclare Hérita Ilunga, le président de l’union des footballeurs du Congo, UFC.

Dans ces témoignages audios obtenus par Sport News Africa, un certain « Paoli » explique à un attaquant « que ça se passe comme ça en Europe » et « qu’il peut être Messi ou Ronaldo, il doit faire des sacrifices comme eux ». Un endoctrinement auquel s’ajoute une pauvreté exploitée par les bourreaux. « Ils ciblent les joueurs les plus défavorisés », abonde Hérita Ilunga. « Ce sont des proies encore plus faciles. Le football est parfois le seul moyen de faire vivre la famille, donc… »

De noms cités

L’enquête de Sport News Africa va plus loin en révélant de noms de personnes soupçonnées.

Des dénonciations ont été émises, par différentes personnes, citant notamment Bertin Maku, ex-sélectionneur de l’équipe locale qui a pris part au CHAN, rappelé par la FECOFA en 2022 comme adjoint. « C’est aberrant ! Tout le monde connaît ses méthodes. Ils ont été avertis de ça, et ils le ramènent ! », murmure-t-on dans les coulisses des préparatifs de la Rdc au prochain  CHAN.

« Il fallait coucher pour jouer ». Ainsi se résume en substance les accusations de chantage sexuel contre Bertin Maku, notamment ancien entraîneur du Racing Club de Kinshasa, RCK, ou de Lupopo.

« Comment Maku a pu revenir au sein de la FECOFA avec son passif ? », interroge un international.

Des accusations que le présumé rejette en bloc.

Sont également cités dans cette enquête, Donga Epapa Cedric, alias « Moyindo ; Alain Kandudi et Jonathan Buka dit « Messi » qui ont déjà purgé des peines de prison pour des agressions sur mineurs, Buka étant retourné encore en prison ; « Baggio », qui était le secrétaire général du club de JM (retrouvé mort il y a une quelques semaines, tabassé par des proches d’une de ses victimes. Ils se retrouvent tous dans la commune de Lemba, note l’enquête. « Ils créent des petites structures, des genres d’académies, et ils profitent des jeunes », se lamente l’agent Luc Mangala.

Un phénomène similaire se produit au sud de Kinshasa, dans la commune de Matete, avec le coach Sule du FC Sukisa.

Un autre nom bien connu du championnat congolais ressort de chaque bouche d’après l’enquête : Guy Roger Limolo, technicien passé par le FC Renaissance, US Filas, Dauphins Noirs ou l’AC Rangers. « Il a tout fait pour coucher avec moi, c’était du jamais-vu », explique une victime . Pris en plein acte il y a quelques années dans les toilettes du stade Tata Raphaël, Guy Roger Limolo a pu continuer sa carrière sans souci, tout comme aussi Tifo Miezi, l’ancien coach de l’Étoile du Kivu qui a signé en deuxième division, au FC Kasombo.

« C’est un réseau, il ne faut pas avoir peur des mots. Je comprends que c’est dur. Beaucoup ont peur, d’autres ont honte. On fait rentrer dans la tête des jeunes qu’ils doivent donner leurs fesses, que c’est comme ça que ça se passe en Europe. J’ai été surpris car beaucoup de joueurs ici pensent qu’en Europe, il faut coucher. Ça montre à quel point on leur a inculqué ça dans le crâne », remarque Youssouf Mulumbu.

Revenu jouer au pays à Lupopo, l’ancien capitaine des Léopards souhaite prendre la parole pour inciter les joueurs à témoigner

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Quand le ministre des Sports s’en mêle

Ces révélations publiées sur le site de Sport News Africa ont fait réagir les autorités sportives congolaises. Le ministre des Sports congolais, Serge Khonde, ainsi que la fédération congolaise de football ont annoncé avoir diligenté une enquête pour faire la lumière sur cette affaire.

« C’est avec indignation que je viens d’apprendre des allégations d’abus sexuels et autres pratiques immorales commises par certains encadreurs sur des jeunes footballeurs, s’est offusqué le ministre des sports. (…) Je demande d’ailleurs la mise en place de politiques de protections des jeunes athlètes ».

« Les informations sur ces abus sexuels n’ont jamais été rapportées à la FECOFA auparavant », précise quant à lui le communiqué de la fédération. La FECOFA s’est dite « prête à collaborer avec toutes les instances compétentes et organisations de défense des droits de l’Homme et de l’enfant en vue de porter la lumière sur ces allégations sommes toutes graves ».

Tout ceci a lieu alors que d’autres sources évoqueraient pratiquement les mêmes abus dans d’autres disciplines sportives, notamment en Rdc.

Dossier à suivre.