Zoom sur le Cinéma : « L’Etat congolais perd des milliards en négligeant le cinéma ». A bâton rompu avec Moyindo Mpongo

Le 7ème Art, l’autre appellation courante du cinéma, est un domaine potentiellement riche et pourvoyeur de recettes dans les caisses de l’Etat. Les gouvernements qui l’ont compris partout dans le monde en s’y investissant efficacement, ont permis à leurs pays d’en tirer bénéfices en termes de recettes, d’emploi et d’image. Des défis que Moyindo Mpongo, acteur et cinématographe pour le cas d’espèce,  croit que la Rdc peut bien relever. Dans cette tribune, premier entretien qu’il a avec un média dans son pays après la dernière qu’il a eu en France dans le cadre du Festival de Cannes, le « Will Smith » congolais comme on le surnomme, interpelle, encourage et positive sur la situation du cinéma en Rdc. D’après lui, ce secteur mérite aujourd’hui et plus que jamais une attention particulière de la part du Gouvernement et des citoyens.

Moyindo Mpongo a grandi avec une vive passion du cinéma. D’ailleurs il garde encore frais les souvenirs des acteurs et films qui l’ont fait rêver au cours des années. Il cite notamment Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Sylvester Stallone, Arnold schwarzenegger,  Jean-Claude Van Damne, Louis de Funès, Gérard Depardieu, Telly Savalas,  Jackie Chan, Bruce Lee, James Bond,  X-Or, K2000, les Visiteurs, Kojak, 007, Derek, etc. Lui qui n’hésitait d’ailleurs pas à tenter de reproduire, seul ou avec des amis, certaines scènes qu’il voyait dans les films. Une passion que Moyindo va commencer à réaliser encore aux études à l’étranger, où il joue dans de films et mini films.

Après plusieurs années passées à l’étranger pour raisons d’études notamment, ce polyglotte et activiste Moyindo Mpongo retrouve sa la terre natale en 2010. C’est trois ans après, soit en 2013, que sa carrière rêvée va connaître un tournant décisif. Cela arrive après avoir rencontré le professeur et producteur Balufu Bakupa Kanyinda. Ce dernier va lui distribuer son premier rôle au pays dans le film « Esprit de Paix », réalisé par Makela. C’est cette rencontre fructueuse avec le professeur et producteur Balufu qui va faire exploser la bombe du cinéma qui habite en lui, et c’est le grand départ jusqu’à ces jours. Son background révèle plusieurs dizaines de productions des films dont illustrations ici, desquelles il a remporté 6 prix dont 5 nationaux et 1 international. En 2018, il remporte trois prix successifs du meilleur acteur congolais commençant par Culture Awards à Kinshasa, Feciglag à Bukavu et enfin à Londres au Congo Film Festival and Awards, CFFA. Et en 2019, il est encore meilleur acteur au Festival International du Cinéma de Kinshasa, Fickin, et au Mongita Awards 4ème édition.

Au nombre de ses films où il a joué le rôle d’acteur principal, il y a « Ndakisa » en lingala, qui signifie « l’exemple » en français. Une série policière télévisée produite par l’ONG Search For Common Ground, en collaboration avec la Police nationale congolaise, PNC. C’est l’histoire d’un policier ordinaire, « Elombe » professionnel, consciencieux et intègre, qui ne pense qu’à accomplir sa tâche et mission de manière exemplaire, mais dans un environnement difficile. Il est donc confronté aux vicissitudes et réalités de la vie, mais décidé et déterminé à combattre les antivaleurs comme la corruption, l’insécurité, le banditisme, la violence.

Bien faire la démarcation entre le cinéma et la télé-dramatique

Le petit écran congolais est très riche en séries télévisées, que d’aucuns appellent films. Une équivoque que Moyindo Mpongo a tenu à lever pour aider le commun des congolais à bien faire le distinguo entre ces deux genres de production.

« Je me suis donné pour mission de redorer l’image du cinéma, de donner aux gens le goût de fréquenter les salles de cinéma, ainsi que susciter de stars du cinéma en Rdc. Vraiment je suis décidé à faire partie de ce mouvement révolutionnaire pour le cinéma congolais. Jusqu’ici, notre pays fourmille des acteurs de la Télé-dramatique alors que les acteurs du cinéma sont à compter du bout des doigts. Le théâtre congolais a migré vers la télé-dramatique grâce à l’évolution des techniques et de la technologie. Ce sont toutes ces séries que divers acteurs, divers groupes offrent au public à travers les différentes chaînes de télé qu’il y a au pays. Les groupes « Maboke » et « Salongo » de la Radiotélévision nationale  sont des précurseurs et ont inspiré beaucoup des compatriotes qui sont aujourd’hui dans ce créneau. C’est une bonne chose et vraiment encourageant. Des télé-dramatiques toutes aussi intéressantes, surtout que certaines histoires sont si denses qu’un film ne suffit pas pour les raconter.

Le film, le cinéma c’est vraiment de la fiction. Il consiste essentiellement à appeler à « l’existence » des choses qui n’existent pas. Faire revenir un dinosaure en 2021 alors qu’il n’existe plus, faire une histoire dans le futur ou dans le le passé avec décors et personnages adaptés alors qu’on est dans le présent, faire exploser des avions, des buildings, se tirer des coups de feu avec des dégâts corporels, faire affronter des humains avec des animaux, réaliser des crashs d’avions, etc. Voilà en quelque sorte ce que c’est du cinéma, un film. C’est important de bien faire la démarcation entre le cinéma et la télé-dramatique ».

L’Etat congolais perd de milliards en négligeant le cinéma

L’état des lieux de l’action gouvernementale au profit du cinéma congolais est encore pratiquement inexistant à ce jour. S’il est vrai que certaines autorités assistent aux différents événements liés au cinéma congolais, encouragent avec de discours attrayant, mais ils ne vont pas au-delà de ça. Et pourtant, le secteur du cinéma a besoin d’un coup de pouce de l’Etat en termes d’appuis financiers et matériels principalement. L’implication de l’Etat est vivement invoquée par Moyindo Mpongo.

« Si le Nigéria et d’autres pays africains sont très avancés par rapport à la Rdc dans ce domaine, c’est simplement parce qu’il y a un accompagnement institutionnel de leurs gouvernements respectifs. L’émergence d’une industrie cinématographique en Rdc nécessite des moyens, un bon investissement, que seul l’Etat pour le moment peut garantir. Notre Gouvernement doit éviter de se contenter de ce qui produit déjà de l’argent, en investissant dans ce qui peut aussi commencer à produire financièrement. Un Prince à New-York, Black Panther, et plusieurs autres films ont eu par exemple à rapporter trois fois plus au-moins que les sommes investies pour leurs réalisations. Ce qu’on n’imagine pas est qu’avec peu, 50, 100, 200 mille Usd, que le gouvernement peut mettre pour un film, c’est possible que ça rapporte même dix fois plus.

Il n’y a pas que les minerais qui peuvent rapporter des milliards. Donc, l’Etat congolais perd de milliards en négligeant le cinéma »

« La vie est belle » n’est pas un film congolais

En Rdc, il y a bien du talent ainsi que de compétences techniques pour réaliser des bons films capables de valoriser le pays. Malheureusement, l’impression qui se dégage est qu’on s’y prend mal, qu’il n’existe pas une politique efficace pouvant orienter les choses dans ce sens. Peut-être qu’il faille que des hommes de culture investissent les différentes institutions du pays pour que cela change fondamentalement. Dans cette sorte de plaidoirie, Moyindo Mpongo prend pour illustrations des films que la Rdc pouvait tourner et faire de l’argent. Malheureusement.

« Il y a beaucoup des films sur l’histoire du Congo qui sont tournés par des étrangers et en dehors de la Rdc. Le cas du film sur Patrice Emery Lumumba, avec entre autres l’acteur principal qui ne ressemble pas du tout avec notre héros national, alors qu’ici au pays, il y a de sosies de Lumumba. C’est une insulte. Aujourd’hui il y aura un film sur Mobutu qui sera tourné par des étrangers et même à l’étranger. On va déguiser de bâtiments, de paysages, de femmes, des hommes, etc., alors qu’on peut faire mieux ici sur place au pays, l’ex Zaïre existe encore… Il y aura tout prochainement un film sur notre Prix Nobel le Docteur Denis Mukwege et l’hôpital de Panzi. Et pour ça, on a déjà recruté un acteur américain d’origine béninoise qui a été sélectionné pour jouer Docteur Mukwege. Je vais encore vous dire qu’il y a un biopic du docteur Muyembe, dont le rôle sera interprété par un acteur étranger, un chauve, alors qu’il y a des cinéastes congolais qui ressemblent bien avec notre savant, et qui pourraient bien jouer ce rôle et tourner ce film ici en Rdc. « La vie est belle » n’est pas un film congolais, il est belge, parce que les moyens et les producteurs sont belges. Mais les acteurs et l’histoire sont congolais. Qui gagne ? En tout cas pas la Rdc. Nous avons notre Ndaye Mulamba «Mutumbula», le plus grand buteur de la CAN, dont le record de 9 buts n’a pas encore été égalé. C’est de la bonne matière pour tourner un film. Nous attendons quoi ? Que les autres le fassent à notre place et gagner de l’argent sous notre nez ? ».

Il n’y a pas de raison de créer un « untelwood » pour la Rdc

Il existe de concepts cinématographiques inspirés du célèbre « Hollywood » américain, notamment « Bollywood » pour l’Inde, « Nollywood » pour le Nigéria, « Cantonwood » pour le Hong-Kong, « Taiwood » pour le Taiwan, « Hallyuwood » pour la Corée du Sud, « Hogawood » pour le Japon, etc. A ceux qui pensent que la Rdc devait avoir aussi son « Untelwood », Moyindo Mpongo estime pour sa part que cela n’a pas de sens.

« Ici en Rdc il existe déjà de structures différentes qui œuvrent dans ce secteur du cinéma. Copier les américains avec leur Hollywood comme les nigérians avec Nollywood ou encore les indiens avec Bollywood, j’estime qu’Il n’y a pas de raison de créer un « untelwood » pour la Rdc. C’est un non sens d’après moi. Pourquoi tous veulent faire le « wood », copier-coller les américains ? Vous savez pourquoi aux Etats-Unis c’est Hollywood ? C’est parce qu’il existe bel et bien un quartier à Los Angeles qui s’appelle Hollywood. Il y a même un boulevard portant le même nom où on place les étoiles de toutes les stars et j’y ai même été. Ce coin là Hollywood était une zone inhabitée, voilà pourquoi les américains l’ont choisi pour en faire une industrie du cinéma. Déjà à Los Angeles il pleut moins, il n’y a pas de neige même en Hiver, donc il fait beau temps tous les temps en fait. Cette absence ou presque d’intempéries rend Hollywood idéal pour les tournages à n’importe quel moment. Savoir qu’à Broadway à New-York on tourne aussi de films, malheureusement le climat est parfois agressif, ce n’est pas comme à Hollywood. Je comprends que beaucoup des pays suivent les Etats-Unis comme c’est le leader dans ce domaine. Je ne pense pas qu’en Inde il existe une région qui s’appelle Bollywood, ou au Nigeria un coin qui s’appelle Nollywood. Mais si nous voulons rester dans notre originalité, nous pouvons imaginer autre chose qui nous soit spécifique. C’est le cas pour les noms que nous devons porter dans les films. Ne pas être John, Jackson, Foreman, mais Moyindo, Lubaki, Mpongo, etc. Ce qui est vrai est que nous sommes entrain de mettre en place une grande structure pour en faire une industrie du cinéma congolais représentative dans ce domaine ».

Une zone de tournage cinématographique des films est aussi possible en Rdc

Si la Rdc peut choisir de rester originale en n’adoptant pas le nom d’untelwood pour son industrie cinématographique, elle peut cependant s’inspirer de Hollywood dans son côté d’une zone dédiée spécialement pour les tournages cinématographiques pense Moyindo Mpongo, qui a en plus son idée là-dessus.

« Cela nous inspire dans ce sens et ça nous tient vraiment à cœur, car ça offre effectivement beaucoup d’avantages. Avoir un centre de production de l’industrie cinématographique, c’est tout ce qui est souhaitable. Mais encore une fois, l’implication du Gouvernement va s’avérer impérative. Déjà pour arriver à localiser une zone bien accessible et climatiquement favorable dans notre pays, il faut le concours de l’Etat congolais, son implication concrète. Ce n’est pas en tout cas avec nos maigres moyens que nous pouvons nous engager à cela. Malheureusement jusqu’ici, l’Etat ne s’implique pas encore pour faire booster le cinéma congolais. Les représentants de l’Etat viennent dans nos événements, ils nous félicitent et ça s’arrête là, pas de suite concrète. Notre cinéma ne peut pas émerger si l’Etat continue dans sa position de spectateur. C’est lui qui gère le pays pour nous demander de trouver une zone favorable. C’est lui qui peut mettre des moyens pour créer des structures et infrastructures que peut nécessiter une vraie industrie de cinéma. Cela nous ramène à une autre triste réalité, celle de carence des salles de cinéma, et ici je parle de la situation de la capitale Kinshasa. A l’intérieur du pays j’imagine que c’est encore pire. Une autre paire de manches ».

La Rdc a des valeurs à montrer, une image à vendre au monde à travers le cinéma

Dans ce monde il y a de pays qui ont réussi à imprimer dans l’imaginaire collectif une image telle qu’ils l’ont voulue. Et c’est par le cinéma qu’ils y sont parvenus. Moyindo Mpongo s’étonne que cela n’inspire pas toujours la Rdc.

« Nous avons en Rdc des valeurs à partager avec le monde, notamment notre histoire, nos traditions, notre culture, nos prouesses, etc. Vraiment nous ne manquons pas du contenu à alimenter nos films et vendre une certaine image de notre pays. Les américains ont réussi à vendre au monde l’image d’un pays ayant des agents et des services secrets les plus redoutables, des commandos invincibles, une sécurité intérieure sans pareille, un contrôle du monde infaillible, etc. Nous gardons une image des chinois très forts en arts martiaux, au point que de gens ont peur de se bagarrer avec un chinois, … Tout ça grâce au cinéma. Nous sommes un peuple hospitalier, brave, révolutionnaire, non belliqueux, etc. Nous avons un pays magnifique, un paradis terrestre s’il faut seulement voir ses reliefs, sa faune, sa flore, etc. Tout ça c’est une image que nous pouvons vendre au monde en tournant de films. Je suis chaque fois choqué lorsqu’on montre l’image de notre pays seulement là où c’est sale, alors qu’il y a des endroits aussi propres que classes. A Paris, ne vous en faites pas, il y a des endroits très sales, tout comme aux Etats-Unis, moi j’ai vu ça avec mes propres yeux. Mais eux ne pourront jamais les montrer parce qu’ils font tout pour vendre leurs bonnes images. Il faut parler de la Rdc autrement et il n’y a que nous qui pouvons parler positivement de notre pays. Le cinéma est un outil précieusement efficace pour ça ».

La Rdc a des valeurs à montrer, une image à vendre au monde à travers le cinéma

Face à la passivité constatée des autorités congolaises à appuyer concrètement le cinéma, Moyindo Mpongo ne désespère pas et ne compte pas non plus rester bras croisés. Il faut continuer de frapper à la porte, à appâter le Gouvernement, l’Etat congolais ne restera pas toujours à insensible. Il veut pour cela croire à la nouvelle dynamique politique au pays.

« Nous allons toucher leur sensibilité. Vous savez, quand votre enfant vous demande quelque chose qui est de son droit, vous lui dites qu’il n’y a pas, il continue et vous lui répondez la même chose, alors que toutes les réalités montrent que vous en avez et que vous pourrez le satisfaire, il y a risque que l’enfant procède autrement pour vous forcer la main. Vous l’aurez voulu. Nous allons continuer à parler comme je le fais également ici. Notre éducation ne nous permet pas de réagir n’importe comment ou de tenir des propos déplacés contre les autorités. Ils ont des enfants qui passent leurs temps en regardant les programmes, notamment des films, de chaînes internationales, satellitaires. Mais quels films regardent-ils ?

Est-ce que nos autorités peuvent-elles se rendre compte finalement comment leurs enfants, nos enfants, sont considérablement dérivés par ce qu’il s regardent, au point de ne rien savoir sur leur propre pays ? Alors qui voulons-nous avoir demain ? Des citoyens calqués sur les cultures étrangères et ignorant de réalités de chez eux ? Ils connaissent plus Bill Gates que Denis Mukwege, ils connaissent plus Mark Zuckerberg que Joseph Kasa-Vubu, Ils connaissent plus Neymar, Ronaldo, Messi que Issama Mpeko, Chancel Mbemba ou Ndaye Mulamba «Mutumbula», etc. Notre musique aujourd’hui tend dans les rythmes vers la musique Nigériane, Ivoirienne et j’en passe, parce qu’on se laisse facilement influencer.   Jusqu’à quand allons-nous nous laisser sous la « colonisation » ? Le 30 Juin 1960 n’aura donc servi à rien ? Je ne crois pas ! Il est possible de changer les choses et moi j’y crois ».

Le Cinéma congolais peut bien vivre son envol comme notre interlocuteur l’acteur et cinéaste Moyindo Mpongo en a parlé dans cet entretien. Cela demande l’implication de l’Etat congolais dans ce processus en termes principalement de politique et des moyens. Tout cela est vraiment possible avec un minimum de volonté de la part des autorités.

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